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Jefferson et la charte de la laïcité

posted by: Jean Gagnier on

Michel C. Auger1 note que Bernard Drainville et Jean-François Lisée tentent de réchauffer le public américain à l’idée d’une charte de la laïcité en la qualifiant presque de jeffersonnienne. Que l’on soit en faveur ou non de cette fameuse charte, messieurs les ministres, à mon sens, errent dangereusement.

Je crois maîtriser la doctrine jeffersonnienne raisonnablement bien, et j’ai même créé un site web consacré aux écrits de Thomas Jefferson. La récupération des idéaux du sphinx américain pour les rallier à la promotion de la fameuse charte me laisse interloqué.

Superficiellement, messieurs Drainville et Lisée ont raison: Jefferson était un être pour lequel la laïcité des institutions représentait un idéal républicain nécessaire pour sa Virginie en plein essor, prise de position courageuse dans les colonies américaines du XVIIIe. Il applaudirait probablement l’idée de vouloir inclure dans la vie citoyenne les individus de toutes religions, l’une des réussites de notre province et de notre pays.

Là s’arrêterait probablement l’accord de Jefferson. Loin de cautionner cette charte, il s’y opposerait probablement farouchement comme une intervention démesurée dans la vie privée des citoyens. Proto-libertarien, Jefferson promouvait un état minuscule, et s’indignerait probablement de presque toutes les politiques péquistes, incluant cette fameuse charte. Les limites imposées aux citoyens par cette charte ne seraient qu’en rares cas (pratiques plutôt qu’idéologiques) justifiées.

Le rôle de l’état tel que le concevait Jefferson est d’assurer que la religion d’un individu ne l’avantage ou ne le désavantage pas dans la vie civile. L’état se doit donc d’ignorer la religion d’un individu lors de ses relations avec lui, pas de la neutraliser. Tout comme l’état se doit d’ignorer le sexe ou les tatouages d’un employé potentiel afin de se concentrer sur compétences, il doit ignorer la religion de ceux-ci sans interdire à ces gens de cacher leurs attributs dans l’exercice de leurs fonctions (encore, sauf pour certains cas pratiques). Tel est, comme je la comprend, la position jeffersonnienne (avec laquelle je suis en léger désaccord, mais tel n’est pas le but de mon intervention).

Jefferson trouverait, je crois, beaucoup plus détestables la présence du crucifix à l’Assemblée nationale (sans pour autant être en désaccord avec le port d’objets religieux ostentatoires en son enceinte par ses membres). Il s’opposerait probablement également au financement publique d’organismes religieux. Le mur de séparation doit se dresser entre l’état et la religion, pas entre l’état et les croyances d’un individu.

Je suggère aux curieux de ne prendre ni les émissaires péquistes ni l’auteur de ce court texte au mot et d’investiguer la vie et les écrits de Thomas Jefferson directement. Ils foisonnent, et la qualité de leurs propos n’est que rarement, sinon jamais, égalée dans l’œuvre de n’importe quel individu dont nous avons documentation. Vous y découvrirez peut-être, comme ce fut le cas pour moi, un guide institutionnel de calibre fort supérieur à n’importe quelle personnalité politique moderne.

Le libre-échange, svp

posted by: Jean Gagnier on

C’est pas un secret, j’aime le libre-échange. Le nationalisme, pas vraiment. Le nationalisme économique, encore moins. Je me réjouis évidemment de la récente entente de libre-échange entre le Canada et l’Union Européenne.

Je ne rate pas une occasion de semoncer le gouvernement Harper, mais quand il agit bien, je le souligne. Alors voilà, c’est fait: ça a pris presque une décennie, mais je félicite un accomplissement du gouvernement Harper.

J’ai mes réserves. Lorsque j’entend parler de gestion de l’offre, je rechigne. C’est tout le contraire du libre-échange que de vouloir imposer des quotas sur l’importation de certains produits.

Oui, un traité de libre-échange pur nuirait à certains secteurs industriels. Certains emplois québécois disparaîtraient. C’est inévitable, et je le crois, désirable. Rares sont ceux qui, encore, se plaignent que nos vêtements sont fabriqués au Mexique plutôt que d’envoyer nos enfants dans l’industrie du textile. Les emplois non concurrentiels de l’industrie du textile ont été remplacés par une meilleure performance économique de secteurs industriels où le Québec et sa métropole démontrent un avantage compétitif beaucoup plus grand. J’aime mieux une ville vibrante de savoir, de design, de technologies de pointe, plutôt qu’une ville d’usines à textiles protégées au nom de la conservation d’emploi.

L’UPA et acolytes sont donc insatisfaits de devoir compétionner avec un produit, en l’occurence le fromage, subventionné par les gouvernements européens. Soit, je leur donne raison. La solution, pourtant, n’est pas de se cabrer et de refuser ces produits, mais bien d’en arriver à convaincre le Canada d’exiger, dans le cadre d’un traité de libre-échange, que ces subventions soient éliminées afin de véritablement favoriser une économie ouverte et libre. C’est, j’en conviens, une lourde tâche, mais je trouve préférable, lorsque devant une inéquité, de tenter de l’enrayer plutôt que de trouver la façon la plus égoïste de s’en accommoder.

Alors, le libre-échange, on l’attend encore. Mais, comme dit avec raison Paul Wells (en anglais), la moitié d’un pain, c’est mieux que pas de pain du tout. Pour quand, l’autre moitié?

La charte des valeurs québécoises

posted by: Jean Gagnier on

La Charte des valeurs québécoises fait beaucoup jaser de nos jours. Ça s’annonce bien:

Les orientations proposées par le gouvernement ont pour objectif de poursuivre la démarche de séparation des religions et de l’État, entamée il y plus de 50 ans dans le sillage de la Révolution tranquille. Le gouvernement québécois croit qu’il s’agit là de la meilleure façon de répondre au pluralisme religieux dans un État moderne, soucieux de l’égalité de toutes et de tous afin de tisser ensemble, par-delà les différences religieuses, morales ou culturelles de toute personne, un lien civique fort.

Ce passage, je l’aime. Quel magnifique projet, et je n’en demande pas mieux, à part peut-être le changement de “poursuivre la démarche” par “compléter la démarche”. Malheureusement, mon enthousiasme ne survit pas à l’épreuve des faits. Je suis incapable d’endosser ou de rejeter complètement cette charte, la trouvant trop hypocrite pour promouvoir une véritable laïcité étatique, objectif qui justifierait un tel remue-ménage.

En tant qu’humaniste agnostico-athée, je trouve désirables les points suivants.

  1. La liberté absolue de croire n’importe quoi, c’est désirable.
  2. La non-ingérence de l’état dans les affaires religieuses, et vice-versa, c’est désirable.
  3. L’égalité de toutes religions et sectes devant la loi, c’est désirable.
  4. La liberté de mouvement, de travail et d’immigration, autant que possible, c’est désirable.
  5. L’intégration d’un immigrant à sa société d’accueil requérant un effort des deux parties, c’est désirable.
  6. Les valeurs québécoises ne requièrent pas de charte. Elles n’ont rien de plus spécial, et elles ne se distinguent que très peu des valeurs françaises, allemandes, américaines ou finlandaises. Bref: si on a à énoncer et défendre des valeurs, je postule que celles que nous tentons de défendre ne sont aucunement propres à notre province, mais bien plus à notre civilisation.
  7. La laïcité des institutions publiques, c’est désirable.
  8. La laïcité des représentants des institutions publiques, c’est là où le bât blesse. Les codes vestimentaires sont objet courant dans plusieurs professions et institutions, et je refuse de considérer l’expression de la religion d’un individu comme un droit plus important, ou un facteur plus atténuant, que n’importe quelle autre forme d’expression personnelle. Que tu sois sikh ou hipster, je veux que l’état considère ta barbe de la même façon devant un code vestimentaire. Si un individu peut porter un voile à l’intérieur de l’école, j’aurais dû avoir le droit de porter ma casquette des Expos. Je continue à cogiter là-dessus.

Parfait. Maintenant, comparons ces désirs avec la Charte du PQ.

La religion a occupé un rôle fondamental dans l’histoire du Québec ; nous devons protéger cet héritage. C’est pourquoi le gouvernement propose de préserver les éléments emblématiques du patrimoine culturel du Québec, qui témoignent de son parcours historique. Le crucifix de l’Assemblée nationale, la croix du mont Royal ainsi que les éléments toponymiques qui ornent le paysage québécois, tels les noms des municipalités et des écoles, en sont quelques exemples.

Nous souhaitons ainsi assurer la séparation de l’État et des religions ainsi que la neutralité et le caractère laïque de nos institutions, tout en protégeant notre héritage culturel et historique.

Préserver un héritage culturel? C’est bien, j’adore et trouve importante l’histoire. Le savoir, c’est important, et l’étude du passé du religieux du Québec est un enjeu fort intéressant. Pourtant, contrairement au Parti Québécois, je prône le retrait du crucifix de l’Assemblée nationale. Sa qualité d’artefact culturel demeure, et c’est pourquoi j’aimerais que le gouvernement demeure propriétaire de l’objet et le conserve au meilleur de sa capacité. Cependant, je trouve hypocrite et honteux de le conserver à l’Assemblée nationale, seule chambre législative de notre province. Contrairement à la Place Ville-Marie, à la croix du Mont-Royal et aux noms de rue, le crucifix de l’Assemblée nationale se trouve au-dessus du président de l’assemblée politique la plus significative de notre état démocratique, a peu près l’endroit le plus inapproprié dont je puisse concevoir. L’idée n’est pas de renier notre passé, mais bien de le corriger lorsqu’il devient désuet. Un fouet au Capitole à Washington, par exemple, n’aurait pu sa place depuis la présidence de Ulysses Grant, mais pourrait tout de même constituer un artefact méritant conservation. Je trouve le maintien d’un crucifix à l’Assembée nationale complètement inappropriée à la suite d’une démarche de laïcisation de l’état.

Mais encore.

Les personnes travaillant pour l’État devraient s’abstenir de faire la promotion de leurs croyances religieuses dans le cadre de leurs fonctions.

Parfait, je vous suis.

Nous proposons d’interdire le port de signes religieux facilement visibles et ayant un caractère démonstratif pour le personnel de l’État dans l’exercice de ses fonctions. Cet encadrement permettrait de refléter la neutralité de l’État. […]

Néanmoins, dans le cas des cégeps, des universités, des établissements publics de santé ou de services sociaux et des municipalités, le conseil d’administration ou le conseil municipal pourrait adopter une résolution permettant à son personnel de porter de tels signes religieux.

Là, je ne vous suis plus du tout. Peut-être suis-je intransigeant, mais je ne comprend pas le but d’instaurer des mesures laïques universelles pour ensuite permettre à des conseils d’administration de les abolir. De plus, à quoi bon interdire des croix de 10cm si on permet les croix de 3cm? Pourquoi sciemment créer une ambiguïté alors que ce n’est absolument pas nécessaire? Si on interdit des objets religieux visibles, interdisons les tous!

Nous proposons que les services de l’État soient donnés et reçus à visage découvert.

Cette obligation permettrait d’établir la règle générale selon laquelle la prestation des services de l’État s’effectue à visage découvert, tant pour la personne qui donne le service que pour celle qui le reçoit.

Bon, ça, c’est clair, ça a du bon sens, et c’est incontournable. Bravo.

En conclusion, je n’aime pas cette charte. Elle se prétend laïque tout en accomodant particulièrement l’héritage chrétien du Québec, alors que ce n’est pas nécessaire, pas utile, et que ça contrevient à l’esprit d’une charte de laïcité. Au lieu d’une laïcité institutionalisée, nous obtenons un nationalisme exclusif, accordant des passe-droits à sa majorité, la faisant paraître xénophobe, pourtant le contraire de l’esprit d’une telle charte.

Un rendez-vous manqué.

Partisanerie-catastrophe

posted by: Jean Gagnier on

À la suite de l’explosion de Lac-Mégantic, j’ai vu passer ceci sur Facebook. L’auteur, Moïse Marcoux-Chabot, semble y déplorer l’utilisation de l’événement par une économiste conservatrice afin d’encourager le remplacement des trains par les pipelines pour le transport pétrolier, une méthode à son avis moins dangereuse. Il relate ensuite plusieurs éléments de la vie professionelle de l’économiste en question, Diana Furchtgott-Roth, qui pourrait expliquer sa prise de position. Jusque là, ça va. Par contre, il y a lieu de se questionner sur la pertinence de mentionner que le Manhattan Institute for Policy Research, auquel serait affiliée Mme Furchtgott-Roth, est un think-tank libertaire et conservateur opposé aux politiques favorables à l’immigration (ce qui, après quelques recherches, me semble erroné). Comment est-ce que cette prise de position, qui n’est même pas la sienne, changerait-elle la qualité de son discours sur la sécurité relative d’un pipeline par rapport à un train? Promouvoir des idées de gauche n’est pas mal en soi, mais, de grâce, ne nous égarons pas par ces sophismes!

Voici ce que je pense de l’explosion de Lac-Mégantic: c’est dommage, bien sûr, et nous devons nous assurer d’une qualité dans le transport énergétique. À la lumière des récents événements, il est normal et nécessaire de se questionner à ce sujet, et n’importe quelle étude sérieuse à ce sujet mérite étude. Soyons bien clairs, cependant: ce n’est pas le méchant pétrole et notre dépendance à lui qui ont causé cette explosion, pas plus que ce soit un moratoire sur la production de produits pétroliers qui règlera le problème. On n’aura pas d’explosions de train, certes, mais au prix de quoi, une dépression économique encore plus considérable?

Le plus dérangeant dans l’argumentaire de M. Marcoux-Chabot, et surtout de plusieurs de ses commentateurs (beaucoup moins articulés que lui), pourrait bien être l’incapacité à séparer les visions politiques de droite, tout à fait légitimes dans une société de droit, d’un parfum d’illégitimité, d’un côté vendu, de mauvaise foi. Pourtant, la gauche ni la droite n’ont le monopole de la vertu, un droitiste comme un gauchiste peuvent se servir de l’actualité afin de promouvoir leur agenda. C’est d’ailleurs le cas-même de M. Marcoux-Chabot, qui clôt son article en proposant l’énergie éolienne comme alternative à l’utilisation de pipelines pétroliers. C’est aussi le cas de groupes gauchisants, par exemple les partisans du contrôle des armes à feu, lors d’événements d’actualité; pourtant, on leur n’en tient pas rigueur.

Je crois concevable qu’une économiste respectée puisse défendre ses propres opinions, rationelles et songées, bien que de droite. Même si elle est associées à des lobbys pétroliers et libertaires. Je pense la même chose de la gauche: un environnementaliste à l’emploi de Greenpeace ou un syndicaliste à l’emploi de la FTQ, malgré ces affiliations, peut tout à fait être de bonne foi. Personne n’a le monopole de la vertu, et il est malhonnête d’attaquer l’intégrité de gens faisant la promotion de leurs options politiques et économiques lors d’événements d’actualité du simple fait que l’on soit en désaccord avec celles-ci. Bref: si on s’indigne des partisans du pipeline, il faut s’indigner des partisans du remplacement intégrale du pétrole par l’énergie éolienne (qui ne fait de très bons plastiques, soit dit en passant). La partisanerie est utile, mais ne doit pas se fonder sur la haine de l’autre, ou sur la mahonnêteté intellectuelle incapable de faire la part des choses. Voilà ce que je souhaite au Québec: une intégrité intellectuelle dépassant les raccourcis idéologiques paresseux.

L’économie autochtone II

posted by: Jean Gagnier on



Ainsi: une communauté autochtone vivant en terre éloignée, sans accès possible aux services urbains et à l’économie réelle, repliée sur les modes de vie ancestraux, mais en même temps assiégée par la modernité – de la motoneige à l’internet – peut-elle être viable? Et encore: quel avenir envisagent les jeunes autochtones «ordinaires», ceux et celles qu’on n’entend jamais?

(Mario Roy)



L’économie autochtone

posted by: Jean Gagnier on



Nous nous retrouvons ainsi dans la situation où l’on veut assurer aux autochtones un niveau de vie digne de citoyens d’un pays riche, tout en sachant que bon nombre d’entre eux rejettent la plupart des moyens qui permettaient d’atteindre ce même niveau de vie.

Souvent, leurs valeurs sont difficilement compatibles avec le progrès tel qu’on le conçoit dans les sociétés industrielles, qui repose sur la propriété, sur une conception du travail et surtout, sur la transformation de la nature. Même s’il y a des cas de succès économiques autochtones, on n’a pas encore trouvé de modèle généralisable, capable de concilier ces valeurs autochtones avec la création de richesse.

(Alain Dubuc)



De la lunette nécessaire de Denys Arcand

posted by: Jean Gagnier on

Est paru récemment chez Boréal l’ouvrage Un cynique chez les lyriques – Denys Arcand et le Québec, essai de Carl Bergeron s’intéressant à l’œuvre de peut-être le plus grand artiste intellectuel de l’histoire du Québec (duquel, le jupon dépasse déjà, je suis un fan fini). Bergeron y constate le refus d’Arcand de se lancer corps et âme, comme beaucoup de ses contemporains, dans un élan natonaliste dit lyrique, proposant au contraire un parti pris pour le détachement, pour la critique de la société québécoise. Cet esprit critique, cette volonté de montrer au Québec ses quatre vérités avec une justesse et une finesses acérées font d’Arcand un artiste d’exception, tant dans la qualité que dans la forme. Rafraîchissante et toujours d’actualité, l’œuvre d’Arcand est ici interprétée par un Carl Bergeron faisant une démonstration inéquivoque de la qualité, de la pertinence et de la pérennité du cinéma d’Arcand.

Ouvrage essentiel à la fois pour les cinéphiles et partisans des humanités sans aucun doute, il se conclue avec des notes de lecture de Denys Arcand lui-même, souvent savoureuses, parfois implacables. J’en note ici un extrait:

C’est probablement par réaction que je me suis appliqué dans mon travail à tenter de cerner et de décrire le plus exactement possible la réalité. Je n’ai jamais eu d’autre objectif. Mais il y a bien des gens qui n’aiment pas la réalité, particulièrement dans la génération “lyrique” des baby-boomers, si élégamment nommée par François Ricard. Je suis né en 1941, je n’appartiens pas au baby-boom, c’est peut-être ce décalage qui m’a évité leurs pires dérapages.

[…]

Drapés dans le fleurdelisé, les nationalistes de 1970 voyaient l’indépendance du Québec dans cinq, dix ou (pour les plus “réalistes”) quize ans. Je reprenais les notes de mes cours d’histoire pour souligner que les Québécois avaient refusé de se joindre aux révolutionnaires américains en 1775 et encore une fois en 1812. Qu.ils avaient refusé d’appuyer majoritairement les Patriotes en 1837 et qu’ils s’étaient ralliés à l’Acte d’Union en 1840. Qu’ils avaient approuvé la Confédération en 1867. Que l’opposition à la conscription à Québec en 1918 s’était évanouie dès que les troupes avaient ouvert le feu. Que l’appui au Bloc populaire en 1942 n’avait jamais dépassé cinq députés. Quels faits nouveaux pouvait-on invoquer pour croire que ce peuple avait changé? “Cynique!”, entendais-je.

[…]

Je ne défendais pas ces points de vue par esprit de contradiction, bien au contraire. J’ai toujours pris mon métier de cinéaste au sérieux. Il me semble que le plu grand apport que je puisse faire à la société dans laquelle je vis, c’est de rendre compte le plus rigoureusement possible des choses que j’ai vues et que j’ai filmées. Cette attitude m’a souvent condamné à une solitude cruelle, difficile à supporter. Parce que vouloir cerner la réalité m’a toujours fait des ennemis des deux côtés des barricades: je n’ai jamais été un défenseur du fédéralisme, j’ai toujours dit que, dans certaines conditions, l’indépendance du Québec était certainement souhaitable, mais qu’elle restait improbable.

Le constat est brutal, net. Le premier chapitre entier, intitulé Cette mauvaise réputation…, propose un Arcand iconoclaste, fataliste, ne croyant pas un Québec indépendant viable car une quasi-médiocrité incapable de ne jamais s’épanouir, destinée à être à terme oubliée et engloutie par l’Empire voisin. On en ajoute par la suite en citant Rémi du Déclin, en faisant dialoguer Maurice Duplessis et Adélard Godbout, en citant Bernard Landry sur un certain fatalisme de la cause indépendantiste, en s’attaquant avec conviction aux questions suivantew: Le Québec est-il condamné? Est-il, doit-il être un peuple de ti-counes? Y a-t-il une certaine noblesse à défier (en vain?) l’Empire, ou l’assimilation lente est-elle inévitable et s’y opposer, contre-productif? Le peuple québécois désire-t-il véritablement l’indépendance, ou vit-il, comme le suggère le titre de mon documentaire québécois préféré, de confort et d’indifférence?

Le peuple est souverain

posted by: Jean Gagnier on

Le peuple est souverain. Ses représentants formant les pouvoirs législatifs et exécutifs y sont redevables. Ça semble anodin de le rappeler, mais il est de notre devoir de s’en souvenir, de se le répéter, de l’apprendre.

Au printemps 2012, une imposante frange de la population a manifesté son désaccord avec une décision budgétaire concernant le financement des institutions universitaires rendue par du gouvernement élu. Le gouvernement, élu avec 42% des voix en 2008, avait la totale légitimité de prendre cette décision. Malgré cela, je vois d’un très bon oeil la décision des manifestants en désaccord avec le plan gouvernemental d’exprimer leur point de vue, de descendre dans les rues et d’exprimer leur mécontentement et leur insatisfaction. Parce que, comme je le disais plus tôt, le peuple est souverain. Cela n’excuse évidemment pas la rhétorique de perturbation de la CLASSE, ni les insultes ad hominem contre M. Charest, M. Bachand, Mme Beauchamp et Mme Courchesne, et cela ne donne pas droit aux mouvements étudiants et à leurs sympathisants de se substituer à leurs représentants. Être en désaccord, tenter de convaincre, c’est bien, mais une portion importante de la population, majoritaire selon la plupart des sondages, se rangeait plutôt du côté de son gouvernement. Bref, le peuple est souverain – pas la rue. Mais la rue a une importance certaine, et nous devons l’utiliser lorsque nous sommes en désaccord avec une décision de notre gouvernement.

Que l’on soit d’accord ou non avec la participation estudiantine accrue dans le financement des universités relève d’une opinion. C’est pourtant la prérogative d’un gouvernement de faire ce genre de décision étant donnée l’immense contribution gouvernementale au réseau universitaire. Bref, que l’on aime ou non la décision, elle était légitime, légale, et l’on doit tenter de s’y opposer, s’il y a lieu, de façon raisonnable, calme, en tentant de convaincre plutôt que de perturber. C’est précisément le genre de décisions qu’on élit un gouvernement afin de prendre. C’est son mandat.

Or, les maires de Montréal et de Laval, ainsi que bon nombre de leurs comparses d’autres villes plus modestes, se retrouvent récemment mentionnés à la Commission Charbonneau en tant que participants à du financement illégal et de la fraude, et se voient accusés de copinage avec des institutions mafieuses. Si les allégation de messieurs Lino Zambito et Martin Dumont sont exactes, les maires sont au pire participants actifs à ce système, et au mieux inconscients des opérations de leur parti. Bref, s’ils disent vrai, ils sont coupables soit de fraude massive, soit de grave incompétence. Ces allégations peuvent encore être fausses, bien certainement, mais le simple fait qu’elles soient déclarées sous serment, corroborées par de multiples participants de divers horizons, suffisent à, du moins temporairement, discréditer complètement les administrations Tremblay et Vaillancourt. Ce dernier s’est récemment retiré temporairement, mais Tremblay demeure en poste malgré son déficit de crédibilité évident et son irresponsabilité.

Le gouvernement Charest, certes impopulaire au printemps dernier, a tout de même pris une décision budgétaire justifiable et légitime. On peut s’opposer à cette décision, on peut la trouver mauvaise, nuisible, mais elle demeure légitime. On peut douter tant que l’on veut de la probité du gouvernement, mais même la CLASSE n’allait pas jusque là. Or, c’est ce qui afflige l’administration Tremblay aujourd’hui: il a perdu toute légitimité. Toute décision rendue par la législation montréalaise, telle que le dépôt du budget de la ville aujourd’hui, est sérieusement compromise.

Entre 100 000 et 200 000 personnes ont marché dans les rues de Montréal le 22 mars 2012 en désaccord avec la hausse des droits de scolarité. Je ne crois pas me tromper en déclarant que ce groupe était en majeure partie constitué d’étudiants, de jeunes sympathisants, de syndicats et de groupes socialistes et anti-capitalistes. Comme je l’ai mentionné plus haut, je salue l’implication politique directe de ces gens, tout en droit de le faire, mais je remets en doute la nature de leurs griefs. D’abord, cette hausse est tout de même modeste et abordable (sans compter qu’elle affecte la classe moyenne plutôt que la classe plus pauvre), et le gouvernement contribuerait plus que la poche des étudiants. Ensuite, étant donné que j’ai vu très, très peu d’appel à la raison, à la justification économique du mal-fondé de la décision gouvernemental, j’ai tendance à voir dans ce mouvement un réflexe “pas dans ma cour”, égoïste, qui défend le bien-être des jeunes plutôt que le bien de la société. Et sur une note plus légère, lorsque l’on porte des caleçons, soutien-gorge, foulards ou cagoules, on ne peut pas parler de manifestation nue. Mais bon, contrairement à d’autres opposants à la position étudiante, je suis tout à fait en faveur de la laisser s’exprimer, de la laisser tenter de me convaincre.

J’ai un grave problème avec les gens prêts à se mobiliser massivement pour quelques milliers de dollars par étudiant, mais qui ne s’indignent pas plus qu’il ne le faut, qui ne sont pas prêts à se manifester autant contre une administration de toute apparence corrompue jusqu’à l’os, opérant carrément sur le dos de ses contribuables, et qui a perdu toute légitimité de gouverner. Je trouve le retrait temporaire du maire Tremblay nécessaire, urgent, et de nature foncièrement plus grave que la hausse des frais de scolarité. Une décision budgétaire, c’est discutable, ça se négocie; la corruption, ce n’est pas discutable, ça ne se négocie pas. Je vois ici une cause plus noble, plus importante, et indiscutablement plus fondamentale au bon fonctionnement de notre société. Je trouve inconcevable de se fâcher contre la hausse de frais de scolarité, mais de rester coi devant ce qui se passe à l’Hôtel de ville de Montréal et dans tous ses illégitimes satellites. Dehors. Le peuple est souverain. Manifestants du Printemps Érable, unissons les Montréalais?

Why Capping Salaries is a Bad Idea

posted by: Jean Gagnier on

Québec Solidaire, a socialist provincial Québec party, has recently proposed a maximum wage in Québec (in French). Françoise David, one of its co-spokespersons, finds that “there is no philosophical, moral or practical reason justifying someone earning in a day what others earn in one or two years”.

I find this proposal appalling, and certainly not desirable public policy. At the core of this matter is the role the state ought to play in society. It varies between two extremes: authoritarianism and libertarianism. Economically, between a planned economy, in which the government decides what every person does for a living, where they live, how much they get paid and so forth, and between a free economy, in which people can do whatever they want. Of course, a nuanced view is probably better, but I’ll argue it is very close to be libertarian. I’m all for a free market… but I think total freedom can impede upon my personal freedom. And that’s where I think government comes in. I want government to insure that I can create a construction firm without being threatened by the mafia. I want government to insure that the meds I purchase aren’t junk. I want government to allow me to thrive, not to impede my thriving.

A case study of totalitarianism vs. libertarianism could be the consumption of cigarettes. A totalitarian regime might think smoking is bad and thus enact a smoking ban altogether. The libertarian will claim that people should smoke whenever and wherever they want. What I think is right, and most would probably agree, is that smoking, while not contributing much to society, should be tolerated, and smokers allowed to indulge – just as long as it’s not in hospitals, public buildings, etc.

Back to economy. What I think we should strive for is collective enhancement – a society in which everyone is free to pursue whatever endeavour they desire, and where government insures that this is possible. I want to live in a wealthy, healthy society made up of people who can read and write. And it turns out that is is more readily offered by a slightly bound free economy that allows people to offer their labor, goods and services to anyone, at any price. If I can convince someone that by giving me $40,000 a year for my services, they will gain an extra $60,000, they have the right to refuse, but it benefits both of us, and they should hire me. If I purchase a car, I don’t want collusion between manufacturers, as it artificially restricts my selection. I don’t want the government to tell me which car to buy. I want the manufacturers to try their hardest to sell me the best car they have to offer at the lowest price possible. That’s what drives innovation.

This long ellipse being done with, let’s go back to Québec Solidaire’s proposal. What it does, in essence, is put a moral judgement on the top value of a labourer’s work. It means that if my services to a company will make them gain $10,000,000 a year, say, I should not have the right to request, say, half of that as my salary, even though I am worth it. I find that profoundly unfair and preposterous. Not only that, I also find it socially counterproductive. It means one of two things: either I offer my services elsewhere and Québec loses on my huge taxes while the company shuts down, or I accept the offer, and my employer is thrilled while I, the worker, get less than I deserve. It’s unfair, it hurts the economy, and I don’t know why a socialist government would propose a measure that makes us collectively poorer, and gives employers more leeway than employees. After all, this is a fair and mutually agreed upon contract, done between two private institutions. The Montréal Canadien spends around $60,000,000 on player salaries, and earns a whole lot more due to these expenses. Why is it thus unfair for the players to ask for these salaries, for their fair shair of the value they generate? Players get rich, the team gets rich, it is mutually beneficial.

The larger issue is this: I do not feel it is right to restrict people’s freedoms for the sake of a philosophical judgement. I don’t think the government should impose limits on what we can and cannot own – if I’m worth a certain amount, who is the government to tell me that I cannot ask for that much? Why regulate this? The accumulation of wealth is not morally wrong – if anything, it should be encouraged! Indeed, these measures aren’t just wrong, they are counter-productive: they impoverish us collectively, they drive people away from the province, and the ones that stay pay less taxes.

I think a much more lofty goal than capping income is insuring a minimal standard. If we, collectively, want to make sure that everyone has the possibility to enjoy a fulfilling life, we need to provide for them with health care and education. Good public transit. Tax incentives. And these are paid for in part with the very rich. By abolishing this class, you abolish a lot of tax income. If you want to redistribute money to the poor, you need to have money in the first place.

Let’s level up, not level down.